Jour maudit, jour de joie !
Le 7 mars 2012, soit il y a pile dix ans, à cette heure-là, je me trouvais à Paris, dans la salle du Pathé Wepler, place Clichy, regardant d’un air effaré un des films que j’ai attendu toute ma vie d’adulte retomber comme un soufflé troué. Je suis fan de John Carter, depuis que j’ai lu Une Princesse de Mars à 17 ans.
Ce jour-là, j’en ai quarante, et je ne comprends pas ce que je viens de voir.
Comment Andrew Stanton a-t-il pu planter son adaptation à ce point ? A-t-il même lu les livres, bon sang de bois (version censurée, sans les insultes) !
Après la séance, j’entends un des spectateurs dire à son voisin, « ah ben c’était pas si mal que ça finalement ! ». On a vu le même film ??
La mauvaise réputation
Il faut dire que les médias se sont acharnés sur le film d’Andrew Stanton depuis des mois aux États-Unis. Trop cher, on parle d’un budget de plus de 250 millions de dollars. Le marketing est anémique, les bandes-annonces sont décevantes et ne génèrent aucune excitation pour le projet, et même pour moi, un fan de la première heure.
Aucune mention dans les campagnes de publicité que John Carter est réalisé par « le réalisateur du Monde de Nemo et de Wall-E », aucune mention que le personnage est créé par « le créateur de Tarzan », personnage pourtant très connu des fans de Disney depuis le film de 1999.
Bref, tous les médias américains semblent se réjouir de la chute prochaine du film. La langue anglaise ne manque pas de mots dans son vocabulaire, c’est pourtant un mot allemand qui sera ici employé, la « Schadenfreude », la « joie du dommage » à savoir le plaisir malsain de voir quelqu’un chuter. Il faut dire que les médias ont une cible de choix, quelqu’un qui ne s’est jusqu’à présent jamais planté, depuis sa participation à Toy Story au sein de l’équipe Pixar, Andrew Stanton.
À la même époque, un autre nom attaché à Pixar, lui, s’en sortira beaucoup mieux avec les médias, à savoir Brad Bird, aux commandes de Mission Impossible: Ghost Protocol, mais ceux-ci se rappèleront à son souvenir par contre au moment de Tomorrowland.
L’échec au box-office
S’ensuivra un box-office très décevant, 283 millions de dollars au niveau mondial. Les deux suites – car on a à faire avec John Carter à un tiers de l’histoire seulement – sont enterrées. Même Disney, dans une communication très surprenante, trois semaines seulement après la sortie du film, et au moment même où celui-ci est ENCORE en salles, annonce une perte record.
Il faut dire que les soutiens de John Carter, comme le directeur du studio d’alors, Dick Cook, sont partis entretemps. Rich Ross, son remplaçant, n’arrêtera pas le projet, mais ne l’aidera pas non plus, il partira d’ailleurs peu de temps après l’échec au box-office. MT Carney, la publiciste en chef embauchée par Rich Ross, venait de la télévision et n’avait aucune expérience en matière de cinéma. Elle partira avant même la fin de la promotion du film.
La débâcle de la communication autour du film est documentée dans un excellent livre en anglais de Michael Sellers, lui-même cinéaste à Hollywood et fan de Burroughs : John Carter and the Gods of Hollywood.
C’est à titre personnel la première fois que je voyais un film échouer principalement à cause d’un déficit flagrant de communication autour du projet, car le film plait, et continue de plaire.
Mais, mais…
Une minute, pourquoi défendre maintenant le film que tu as détesté au premier visionnage ?
C’est là que l’histoire devient limite invraisemblable.
Mon opinion a fait un virage à 180 degrés depuis !
Le processus a sans doute quelque chose à voir, toute proportion gardée, avec un deuil, celui de l’adaptation « parfaite » que j’avais en tête. J’ai commencé au fil des semaines et des mois qui ont suivi à voir le verre à moitié plein, c’est-à-dire tout ce qui se trouvait dans le film d’excellent, et qui venait du livre.
Car tout bien considéré, John Carter est une adaptation bien plus fidèle de La Princesse de Mars que n’importe quel Tarzan par rapport aux romans ! Beaucoup des scènes les plus marquantes viennent en droite ligne des romans.
Il a sans doute été très tentant de changer l’origine de John Carter de soldat sudiste en soldat nordiste, ou bien de ne pas situer l’action juste après la Guerre Civile du tout. Et si l’on peut reconnaître une qualité inhérente au cinéma d’Andrew Stanton, c’est une sincérité totale, dénuée du moindre cynisme commercial.
Aujourd’hui, je peux considérer enfin John Carter comme un de mes films préférés, tout simplement. Et je pleurerai à jamais le fait de ne jamais avoir eu de suite.
Mais l’histoire, tu la connais déjà, non ?
Oui, bien sûr, mais je ne connais pas celle que voulait raconter Andrew Stanton ! On sait peu de choses sur les suites, sinon qu’elles respectaient les titres des deux livres suivants, à savoir Les Dieux de Mars (Gods of Mars) et Le Seigneur de Guerre de Mars (Warlord of Mars).
On sait que le premier livre mettait en scène une bataille dans les airs entre les vaisseaux de Helium et Zodanga, et qu’Andrew Stanton réservait la bataille pour la suite. Sans doute aussi gardées pour la suite, ou peut-être même la fin de la trilogie, les usines atmosphériques qui alimentent Mars en oxygène.
L’acteur James Purefoy (qui joue Kantos Kan, mais qui aurait fait à mon avis un John Carter encore meilleur que Taylor Kitsch !) a révélé qu’un tournage à Hawai de six mois était prévu pour la suite, et qu’il aurait formé un duo à la « Butch & Sundance » avec Taylor Kitsch. À mon avis, il s’agissait de toute la première partie des Dieux de Mars, qui se passent dans la vallée luxuriante de Dor. Dans le roman, ce passage inclut Tars Tarkas et non Kantos Kan, mais on peut supposer que la présence de deux humains réduira le cauchemar logistique qu’aurait représenté la séquence !
Suite et fin, alors ?
Oui, et je ne sais pas. Oui, car les droits de John Carter n’appartiennent plus à Disney de toute façon. La compagnie les a rendus, et même de façon anticipée, à ERB Incorporated. À ma connaissance, personne d’autre ne s’est porté acquéreur des droits.
Andrew Stanton avait émis l’idée de créer un événement autour de John Carter, peut-être une projection du film, avec une présentation de ce qu’auraient dû être les suites. Cet événement ne s’est pas matérialisé.
Les médias s’étaient fait l’écho d’un film mystérieux en prises de vues réelles, qui était inclus dans le contrat d’Andrew Stanton pour Le Monde de Dory (qui a rapporté un milliard de dollars au passage). Ce film ne s’est jamais fait jusqu’à présent, Andrew Stanton n’a depuis réalisé que des épisodes de séries télévisées, et plus rien pour le cinéma à ce jour.
Alors, comme le dirait John Carter lui-même face à l’adversité :
« JE SUIS TOUJOURS EN VIE ! »
À suivre, en tout cas, bon anniversaire à John Carter, même si celui-ci est forcément un peu amer pour le fan que je suis. Je reste convaincu qu’un jour, Andrew Stanton trouvera le moyen de nous raconter la fin de l’histoire. Il est passionné avant tout de narration, et je doute qu’il soit du genre à nous laisser sans le fin mot de l’histoire.
Et vous, aimez-vous John Carter ? Partagez votre expérience en commentaire !