Abraham Sherman est un de ces contributeurs passionnés par Edgar Rice Burroughs qui écrit sur les pages Facebook consacrées à l’écrivain. Il a écrit récemment une contribution que je trouve intéressante, sur le fait que l’auteur ait fait de son héros un soldat confédéré, ce qui était surprenant étant donné que son père même avait été officier nordiste pendant la Guerre Civile américaine. Cela signifiait-il que John Carter était pour autant favorable à l’esclavage ?
Si le film d’Andrew Stanton, grâce lui en soit rendu, n’ignore pas ce fait, et ne culpabilise pas son héros pour cela, le jeu vidéo à venir fait le choix de faire de John Carter un soldat de la seconde guerre mondiale, choix forcément beaucoup plus politiquement correct.
Concernant la Guerre Civile américaine, on a souvent tendance à schématiser le conflit, qui avait des racines avant tout politiques, à « ces méchants esclavagistes du Sud contre les gentils progressistes du Nord ». La réalité était sans doute beaucoup plus nuancée.
Avec l’autorisation d’Abraham Sherman, ci-joint la traduction de son propos recueilli sur le groupe « John Carter of Mars & All ERB Gaming Group » :
« Il y avait aussi des hommes bons dans le Sud, et les héros dans les histoires d’ERB [NdT : Edgar Rice Burroughs] étaient tout sauf racistes.
Il faut faire attention et se rappeler que le « gentleman du sud » n’est pas spécifique aux CSA [NdT : Confederate States of America, ou Etats Confédérés d’Amérique], et est plus qu’un archétype fictionnel. Il existait en tant que classe sociale avant et après la guerre civile. Les individus de cette classe n’étaient pas nécessairement pro-esclavagistes ou pro-CSA. Robert E. Lee a été l’un des exemples les plus célèbres, puisqu’il a presque accepté de se battre pour le Nord. Il y avait des membres riches, noirs et possesseurs d’esclaves dans cette classe sociale [NdT : cela peut paraître surprenant, mais c’est un fait historique établi, voir notamment la biographie de William Ellison : William Ellison – Wikipedia]. C’était plutôt varié.
Il est significatif que John Carter ait combattu pour la Virginie, qui, bien qu’elle ait contenu la capitale de l’ASC de Richmond, n’était pas un État du Sud profond fortement imprégné de culture esclavagiste. Une partie de Washington, D.C. est sur le côté sud du Potomac, et il y avait (et il y a toujours) beaucoup d’échanges culturels à travers ce fleuve. Beaucoup de gens dans le Maryland parlent avec un léger accent du Sud, et beaucoup de l’industrie du Nord se retrouve aussi en Virginie. Ces échanges dataient au moins de l’époque de George Washington.
Même au moment de la guerre civile, être de Virginie ne signifiait pas nécessairement qu’une personne soutenait l’esclavage, ou même qu’elle se rallierait automatiquement aux CSA. Beaucoup de gens se sont battus pour les CSA non pas parce qu’ils voulaient préserver l’esclavage (seulement 1% des Sudistes possédaient des esclaves), mais parce que la classe dirigeante politique avait décidé d’entraîner le Sud dans cette voie, et qu’ils ont exploité la volonté de la personne moyenne d’apporter son soutien à son État d’origine, pour le meilleur et pour le pire. Le Sudiste moyen a payé pour cela un prix terrible.
Un gentleman du Sud ou un capitaine dans la cavalerie confédéré n’était pas forcément un raciste. Il ne s’est peut-être battu que parce qu’il jugeait nécessaire de protéger sa famille pendant un conflit qui a été imposé à la région par les élites dirigeantes. Nous ne devrions pas confondre la ferveur du Sud pour les droits des États et une nation qui leur est propre comme un cri de ralliement en faveur du racisme. Ce n’était pas le cas pour la grande majorité des Sudistes. Les CSA ont été mal avisés à plusieurs égards, le soutien à l’esclavage étant de loin le pire, mais la guerre civile n’était pas « la guerre contre le racisme du Sud » que certains des manuels actuels aiment à dépeindre. Le récit de l’opinion publique sur ces questions a été grandement simplifié au nom de l’opportunisme politique moderne – à savoir, l’opportunisme contre les républicains du Sud modernes (l’ironie étant que les CSA étaient dirigés par les démocrates).
Le père d’ERB était un officier de l’Union, donc nous pouvons être assez certain qu’ERB lui-même n’était pas un sympathisant des pires idées des CSA. ERB n’aurait pas non plus créé un personnage héroïque avec des inclinaisons pareilles. L’auteur qui a écrit « The Black Man’s Burden » [NdT : « Le fardeau de l’homme noir », écrit par ERB en 1905] dans la réfutation de l’infâme cri de Kipling n’était pas intéressé par l’assujettissement basé sur la race. ERB a écrit de nombreux messages antiracistes dans ses romans, et n’a jamais prétendu que sa couleur de peau disait quelque chose de ce qu’était un être humain.
En raison de la nature même de la mélanine, chacun d’entre nous est constitué d’une nuance de brun. Jouer au football politique avec le concept de « race » est incroyablement stupide et est une exploitation ouvertement manipulatrice menée contre les individus minoritaires par le biais d’insécurités soigneusement cultivées. La promulgation délibérée de l’infériorité liée à la race et des mentalités de victime est la plantation idéologique d’aujourd’hui.
Je soupçonne qu’ERB a fait de John Carter un officier du Sud en raison du code de chevalerie du gentleman sudiste (qui n’a jamais prétendu que l’esclavage était honorable), et peut-être comme un geste de réconciliation destiné à calmer les sentiments anti-Sud et aider à guérir la fracture nationale. Et, comme vous l’avez mentionné, cela a fait de Carter quelque chose comme l’équivalent de l’époque d’un ronin américain.
Si la célébration du Gentleman du Sud n’est pas un problème dans les livres, et l’archétype lui-même n’est pas intrinsèquement problématique, pourquoi prendre la peine de le changer après coup ? Pourquoi traiter les anciens Confédérés comme s’ils étaient radioactifs ? Les gens peuvent faire la différence entre un homme bon d’une certaine région et les méchants qui ont eu les pires idées dans cette région au même moment de l’histoire. Les récits politiques d’aujourd’hui ne sont pas si importants que nous devons utiliser de larges pinceaux pour diaboliser les bons idéaux et les bonnes personnes, n’est-ce pas ?
« Vingt-deux ans auparavant, je m’étais retrouvé, nu, un étranger, dans ce monde étrange et sauvage. Les mains de chaque race et de chaque nation se soulevaient sans arrêt dans les conflits continus, et la guerre rageait entre les hommes de toutes terres et de toutes couleurs de peau. Aujourd’hui, par la puissance de mon épée et la loyauté des amis que mon épée m’a aidé à obtenir, hommes noirs et blancs, hommes rouges et verts, se côtoyaient en paix et en bonne harmonie. Toutes les nations de Barsoom n’étaient pas encore unies, mais un grand pas en avant vers cet objectif avait été entrepris, et maintenant si je pouvais rallier la féroce race jaune dans cette solidarité des nations, je considèrerais avoir accompli une grande oeuvre, et remboursé à Mars au moins une partie de l’immense dette de gratitude que je lui devais pour m’avoir donné ma Dejah Thoris. » – John Carter [NdT : Extrait du tome 3 « Le Seigneur de Guerre de Mars »] (un « Sauveur jasoomien » qui se trouvait avoir la peau blanche, sur une planète où la race blanche était le d’une méchanceté totale) »
« Les sudistes étaient à la Confédération ce que les Allemands étaient à l’Allemagne nazie. Nous pouvons dénigrer tous les habitants d’une région pendant une période sombre de l’histoire, et faire glisser la culpabilité aux générations futures, ou nous pouvons être des êtres humains décents et discerner entre les personnes en fonction uniquement de leur caractère personnel individuel et de leurs choix individuels. La plupart des Sudistes se sont battus pour le Sud, pas pour les pires éléments de la Confédération, à peu près de la même manière que les 2/3 de l’armée américaine est conservatrice et s’oppose à l’avortement, mais se bat pour l’Amérique. »
Bien écrit Abraham ! 🙂
Ajoutons pour être complet que si la famille « fictive » Burroughs introduite dans Une Princesse de Mars possède bien des esclaves (il est même précisé que même eux adoraient John Carter lors de ses visites), John Carter lui-même n’en possède pas. Il en a sur Barsoom, mais là-bas l' »esclavage » est très particulier, car comme tous les aspects culturels de la planète tels qu’imaginés par Burroughs, il est avant tout fondé sur l’honneur. Ainsi on peut devenir esclave temporairement si sa nation a été vaincue, pour « racheter » l’honneur de cette nation, ou bien simplement pour rembourser une dette, tout court, sachant que quelques années d' »esclavage » ne sont rien pour un peuple qui, sauf mort prématurée en combat, peut vivre plus de mille ans. Il est aussi précisé qu’il est tout à fait légal pour un esclave de tuer son maître si celui-ci abuse de son pouvoir !