1986 : Star Trek 4 triomphe au box-office américain. Le film de Leonard Nimoy parvient à fédérer aussi bien les fans de Star Trek que les spectateurs qui ne se sentent pas spécialement investis dans la saga. Il y a 7 ans maintenant que la franchise a été relancée par le cinéma, après avoir été envisagée à l’origine comme la série Star Trek : phase 2, qui aurait vu le retour de tous les acteurs d’origine, à l’exception, justement, de Leonard Nimoy (un autre Vulcain était prévu pour remplacer Spock). Maintenant se pose à Paramount le problème de l’avenir proche. Les acteurs de la série originale ne rajeunissent pas, il serait donc intéressant de relancer la série d’une manière ou d’une autre, surtout au moment où sa popularité est au sommet. Le projet de film de Harve Bennett sur les jeunes années de Kirk et Spock à l’académie de Starfleet est abandonné devant la réaction des fans, et jugé trop risqué (ce qui ne manque pas de sel quand on voit le succès du Star Trek de JJ Abrams en 2009, qui part du même postulat). La Paramount se décide à refaire appel à Gene Roddenberry, qui avait été écarté des films après Star Trek le film en 1979, pour créer une nouvelle série, destiné au marché des chaines régionales (en « syndication »). Celui-ci s’entoure au départ de vétérans de la série classique, comme Robert Justman, Dorothy Fontana et David Gerrold.
Mais les choses ont changé depuis les années 60. Star Trek est devenu un phénomène mondial et Gene Roddenberry une véritable star, considéré (à tort) comme le seul et unique génie responsable de la vision de ce qu’est Star Trek aujourd’hui. Or celle-ci doit tout autant, voire même plus dans certains cas, aux talents de Dorothy Fontana et de feu Gene Coon par exemple, qui avaient fermement élevé la série originale au rang de série culte, ou à ceux de Nicholas Meyer pour les films. A sa décharge, Roddenberry ne se contente pas d’une simple reprise des personnages des années 60. Conscient que l’aspect « futur utopique » est pour beaucoup dans la popularité de Star Trek, il décide de renforcer encore cet aspect. Désormais, plus de conflit autorisé entre les membres de l’équipage. Symptomatique de cet état de fait, la création de Data l’androïde. Certes, il partage avec Monsieur Spock la possibilité de commenter les réactions humaines d’un point de vue extérieur, mais là où Spock devait lutter en permanence contre les émotions contradictoires qu’il ressentait, il n’y a pas de lutte de cette sorte chez Data, puisqu’il est, par définition, tout simplement incapable de ressentir la moindre émotion ! Impressionné par le personnage de Vazquez dans Aliens, Roddenberry décide de créer un personnage de chef de la sécurité féminin et hispanique, Macha Hernandez, que devait interpréter Marina Sirtis, Denise Crosby devait jouer la conseillère du vaisseau. Finalement, en voyant les deux actrices, Roddenberry décidera d’inverser leurs rôles. Il recycle également quelques idées de la série Phase 2, comme la relation préalable entre le premier officier et un des membres de l’équipage. En effet, la relation entre Riker et Troi ne sera pas sans rappeler celle de Decker et Ilia dans le premier film. Le capitaine sera français. Roddenberry envisage même de l’appeler Cousteau, mais ce sera finalement Jean-Luc Picard, incarné par l’Anglais Patrick Stewart, qui n’a accepté le rôle que parce que ses amis lui ont dit qu’il ne durerait, au mieux, que quelques mois ! Pour montrer l’évolution de l’univers de la série, il est décidé de créer un personnage de Klingon, lequel n’est au départ qu’un figurant de luxe, ce qui ne tardera pas à changer. Personne ne mise sur la réussite de la série, comme par exemple Leonard Nimoy, qui n’hésite pas à déclarer qu’il est impossible de « capturer deux fois un éclair dans une bouteille ».
Les nouvelles règles imposées par Gene Roddenberry sont très loin de faire l’unanimité parmi ses collaborateurs de longue date. Tous finiront à plus ou moins brève échéance par quitter le navire, agacés par l’intransigeance d’un Roddenberry, qui, peu enclin aux situations conflictuelles, fait bien souvent passer ses instructions par le biais de son avocat personnel ! S’ensuivra un « turnover » très important dans les coulisses, tandis que devant la caméra certains peinent à trouver leurs marques. Denise Crosby jettera l’éponge en milieu de première saison, tandis que Patrick Stewart doit faire face à un véritable choc culturel, lui étant un acteur shakespearien des plus sérieux, devant faire face à la désinvolture de ses collègues américains. De son propre aveu, il était un emmerdeur fini, qui n’hésitait pas à réprimander ses camarades de jeu au cours de réunions qu’il avait mises en place. Finalement, il aura un vrai déclic, et finira par adopter lui-même la décontraction de ses collègues, qui deviendront de véritables amis, et qui le sont toujours quelques 30 ans plus tard. Le plateau de tournage aura bientôt la réputation d’être le plus indiscipliné de tous les Etats-Unis ! Du côté des Crusher, mère et fils, la mère est virée pendant la saison 2 pour revenir en saison 3, son remplacement, le docteur Pulaski, n’ayant pas fait l’unanimité. Trop acerbe, à la façon d’un McCoy, elle aurait été plus à sa place dans la série originale, et là où Spock avait les moyens de se défendre verbalement face aux remarques du bon docteur, Data s’avère démuni face au venin de Pulaski. Quant à Crusher fils, il deviendra peut-être le personnage le plus détesté de tout Star Trek ! Ce n’est pas la faute de Wil Wheaton, son interprète, mais bien des scénaristes, qui pour justifier sa présence constante sur la passerelle, en font un petit génie agaçant, et un adolescent avec des attitudes dignes d’un enfant de 7 ans. Il tiendra 4 saisons avant de se décider à partir, une décision douce-amère dont il admettra plus tard qu’elle n’était pas forcément opportune rétrospectivement… Aujourd’hui Wil Wheaton est un des personnages les plus importants du monde « geek » sur internet.
En coulisses, la santé déclinante de Gene Roddenberry le force à déléguer de plus en plus les tâches de production à son protégé, Rick Berman qui, s’il est très compétent dans son domaine, manquera à long terme de la vision de son mentor. L’équipe de production ne se stabilise cependant vraiment qu’après les deux premières saisons chaotiques, avec l’arrivée de Michael Piller sur la série. Celle-ci trouve enfin son rythme de croisière durant les saisons 3 à 6. Michael Piller semble trouver l’équilibre parfait entre le respect de la vision de Roddenberry (la « Roddenberry’s Box », comme il l’appelle) et les contraintes d’une série moderne. Star Trek s’avère être une série très exigeante en termes de scénarios, car bien qu’elle utilise des personnages récurrents, son format s’apparente plus à celui d’une anthologie, avec une histoire totalement différente chaque semaine. Ce sera donc une des rares séries à accepter des propositions d’histoires venant de l’extérieur du circuit professionnel. Peu d’épisodes verront finalement le jour de cette façon, mais on peut citer notamment l’extraordinaire « Indices » (« Clues »). L’absence de conflit entre les membres de l’équipage pose aussi problème aux scénaristes, ainsi que la technologie ultra-avancée présente sur le vaisseau, mais c’est aussi ce qui finira par distinguer La Nouvelle Génération de ses successeurs. C’est à ce jour, avec la série originale, la série la plus appréciée des Trekkers, et ce à juste titre. L’art le plus abouti nait parfois des contraintes qui lui sont imposées.
Gene Roddenberry meurt en 1991, alors que sort en salle Star Trek 6, le dernier film mettant en scène l’équipage de la série originale au complet, et faisant apparaître Michael Dorn dans le rôle du grand-père de Worf… A partir de là, il semble qu’aussi bien Rick Berman que Michael Piller aient envie de s’affranchir peu à peu des règles imposées par le créateur de Star Trek. Un personnage récurrent au caractère bien trempé rejoint ainsi l’équipage durant la saison 5, Ro Laren, jouée par Michelle Forbes. Le Maquis, en français dans le texte, est créé, c’est un groupe d’humains de la Fédération dissident, en guerre contre les Cardassiens parce que la Fédération s’est avérée incapable de les aider, situation que n’aurait jamais autorisé le vieux Gene, qui avait déjà tenté d’apposer sans succès son veto aux officiers dissidents présents dans Star Trek 6. Pire, l’épisode « Terre Promise » (« Homeward », saison 7) voit l’équipage de l’Enterprise contemplant une planète qui va s’autodétruire avec tous ses habitants… les bras croisés, en respect de la Directive Première de non-intervention de Starfleet ! Il est à cet usage intéressant de comparer cet épisode à « Correspondance » (« Pen Pals ») de la saison 2, donc encore sous égide de Roddenberry, où l’équipage cherchait activement des solutions au problème écologique qui menaçait la planète… Roddenberry était un humaniste, certainement pas un avocat. Je doute fortement que la Directive Première (qu’il n’avait d’ailleurs pas créée à l’origine) ait été une règle inviolable dans son esprit, et qui passait avant le bien-être des individus. D’ailleurs elle sera violée plusieurs fois avec sa bénédiction, à commencer par Kirk… Pour moi « Terre Promise » reste le pire épisode de Star Trek la Nouvelle Génération, bien plus que le clip-show à l’économie de fin de deuxième saison « Au seuil de la mort » (« Shades of Grey »), qui est généralement celui qui remporte tous les suffrages dans cette triste compétition.
Bref, Star Trek La Nouvelle Génération est le dernier sursaut du futur rêvé par Gene Roddenberry, qui rappelons-le, voulait faire à l’origine de Star Trek un pendant des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, c’est-à-dire une manière décalée de regarder les problèmes de notre monde à travers un prisme déformant, en l’occurrence celui du futur. A partir de la fin de la Nouvelle Génération, le rêve se délite peu à peu. Les films de la Nouvelle Génération deviennent des films d’action (il est à cet égard édifiant de comparer l’attitude de Jean-Luc Picard dans l’épisode « Hugh le Borg », et celui du film « Premier Contact », par ailleurs excellent. Mais s’agit-il vraiment du même homme ?), Deep Space Nine finit par se débarrasser de Michael Piller (l’équipe de production se sentant limitée par ce qui était devenu la « Piller’s Box »), pour mieux se focaliser entièrement sur un conflit guerrier (merci Babylon 5, qui à mes yeux lui restera toujours supérieur), Voyager tentera de se passer de l’univers officiel des séries précédentes, sans grand succès (les pseudos-Klingons nommés Kazons laisseront bientôt la place aux Borgs, plus familiers), et Enterprise achèvera la franchise sur petit écran dans une indifférence quasi-générale, faisant au passage des Vulcains les rois des hypocrites. Star Trek semble finalement être arrivé en bout de course, malgré les électrochocs que constituent les deux films d’Abrams, dont on ne semble pas encore voir d’effet à long terme.
Star Trek La Nouvelle Génération doit donc être célébrée comme ce qui serait l’apogée du rêve de Gene Roddenberry, l’homme qui réussit tout de même, pas seul certes, mais tout de même, à capturer par deux fois « l’éclair dans la bouteille ». Un ami géologue qui a travaillé aux Etats-Unis me racontait une fois que lors d’une réunion au siège de la grosse société qui l’employait, le PDG en personne interrompit la réunion en plein milieu, pour allumer la télévision qui se trouvait dans la salle, et regarder un épisode de Star Trek The Next Generation, pour reprendre ensuite la réunion comme si de rien n’était.
Mais c’est aussi la fin d’un rêve, le cynisme et le « réalisme » finissant par pervertir l’innocence qui était à la base d’un univers unique, et qui perdit au passage beaucoup de son identité. Aujourd’hui JJ Abrams peut faire du « Star Wars Trek » sans que personne, hormis les fans les plus jusqu’auboutistes, ne semble s’en offusquer. Il faudrait à Star Trek un autre visionnaire pour renaître, mais existe-t-il seulement en ce monde un autre Gene Roddenberry ?