Tarzan peut, à bien des égards, être considéré comme le personnage le plus mythique du vingtième siècle, ou tout au moins de la première moitié du vingtième siècle, avant que ne débarquent Superman, Batman et consorts. Ses concurrents directs « mythiques » du siècle d’avant sont, à mon avis, Dracula et Sherlock Holmes.
Tarzan est en tout cas le premier « empire multimédia » digne de ce nom. Il a même une ville à son nom, c’est dire… Prend ça, Sherlock…
L’auteur le plus chanceux de la planète ?
Edgar Rice Burroughs touche ainsi le jackpot en écrivant ce qui seulement son troisième roman. Son premier roman est « Sous les lunes de Mars », qui deviendra lors de sa réédition en 1917 « Une princesse de Mars ». Le second vient d’une suggestion de son éditeur, Thomas Metcalf, dont le nom mérite d’être cité car il a eu une importance absolument capitale et déterminante dans la carrière du « jeune » écrivain de 36 ans.
Il suffit quelquefois de peu de choses pour qu’une réussite potentielle se transforme en échec. Quand Burroughs écrit la première aventure de John Carter, tout d’abord il ne la finit pas. Il l’envoie inachevée aux éditions Munsey en demandant au récepteur de la lettre si cela vaut le coup qu’il la finisse ! Thomas Metcalf aurait tout aussi bien pu 1) ignorer la demande d’un auteur qui ne prend même pas la peine de finir son texte, ou 2) lui répondre simplement que la firme n’accepte pas de texte non achevé. Or, bien au contraire, non seulement il encouragera Burroughs à finir son roman, il lui donne même des pistes pour lui donner une fin satisfaisante !
Metcalf suggèrera ensuite à Burroughs d’écrire un roman historique, qui deviendra « The Outlaw of Torn », mais, preuve qu’il n’est pas pour autant prêt à accepter n’importe quoi, il finira par refuser le texte, malgré le fait que Burroughs effectue, à sa demande, plusieurs révisions !
C’est la seule et unique commande qu’acceptera Burroughs de sa carrière d’écrivain. Metcalf lui demande s’il a autre chose à proposer, et Edgar lui parle alors de son « histoire d’homme-singe ».
La naissance d’un mythe
L’histoire parait en totalité dans le numéro de All-Story Magazine d’octobre 1912. Contrairement à Under the Moons of Mars, Burroughs publie sous son vrai nom, alors qu’il voulait signer son premier roman du pseudonyme de « Normal Bean » (« Haricot Normal »), mais qu’il était apparu dans le magazine en tant que « Norman Bean », ruinant la blague initiale. Le « Norman » de mon propre pseudonyme vient de là. Quant aux rayons T (T-rays), ils sont employés sur Vénus !
Les lecteurs ont adoré « Tarzan of the Apes » et en redemandent. L’histoire est racontée quasiment de façon inverse à celle de « Under the Moons of Mars ». Le premier roman est écrit à la première personne, et lecteur est invité à s’identifier à John Carter pour découvrir cet univers à travers ses yeux. Son passé est expédié dans les premiers paragraphes, et il n’y sera plus guère fait mention.
« Tarzan of the Apes » est une étude de cas, et explore un thème qui est également cher à Burroughs, la relation entre l’hérédité et l’environnement. Là, pas de narration à la première personne, notre point de vue restera extérieur. On assiste tout d’abord, et ce point est très rarement abordé dans les adaptations, au destin des parents du futur Tarzan, arrivés en Afrique pour enquêter sur les agissements d’un gouvernement local qui bafouerait les droits des indigènes. Suite à une mutinerie sur leur bateau, le couple est débarqué en pleine jungle avec leurs bagages.
Les parents de Tarzan
La survie des parents de Tarzan ferait à elle seule un excellent récit, particulièrement poignant. Elle est vaguement résumée dans le film de 2016, pour une fois une adaptation un peu plus proche du récit original. Poignant aussi est l’histoire de Kala, la future mère adoptive du jeune Lord Greystoke. C’est une Mangani, une espèce qui incarne une sorte de chaînon manquant entre l’homme et le singe. Kala perd son enfant lors d’une crise de démence du chef des Manganis, ceux-ci étant quelquefois sujets à des crises psychotiques. Encore une fois, une telle scène est montrée dans le film de 2016.
Du côté des parents de Tarzan, Lady Alice a perdu la raison. Elle se croit revenue en Angleterre et délire constamment. Lord Greystoke, plus que jamais seul pour assurer leur survie et celle de leur jeune enfant qui vient de naître, la retrouve un jour, morte dans la chambre de leur cabane. Bouleversé, il commet alors l’erreur fatidique qui tenait à l’écart les Manganis tout proches, il oublie d’enclencher le cadenas de la lourde porte de la cabane. Il paiera cette erreur de sa vie, et Kala s’emparera de l’enfant humain, laissant son fils mort à sa place dans le berceau.
Le VRAI Tarzan
Je n’irai pas par quatre chemins, vous ne connaissez pas Tarzan si vous n’avez pas lu le roman original. Point final. Absolument rien n’aura pu vous préparer préalablement à sa lecture.
Vous connaissez sans l’ombre d’un doute le faux Tarzan, celui qui a été popularisé au cours des années par les médias en dehors des romans de Burroughs. Je ne connais qu’une seule exception, et c’est la magnifique adaptation qu’en a fait Joe Kubert pour DC comics, et traduite en deux splendides volumes en français chez Delirium.
A titre personnel, Tarzan, avant de lire le livre, était littéralement « le boy-scout de la jungle ». Un personnage assez, allez, j’ose l’écrire, insipide, un peu bébête, et les aventures dans la jungle me semblaient assez banales. Que nenni ! Le livre me révéla tout le potentiel du personnage, à peine touché par les adaptations. Un animal avant d’être un homme, plus à l’aise dans la jungle et dans tous ses dangers que dans la civilisation. Et pourtant, il parvient à être AUSSI à l’aise dans la civilisation.
L’éléphant dans la pièce
Burroughs n’était pas raciste. Pour lui, peu importait la couleur de peau, seules les actes et le caractère comptaient. Il a fait de l’ethnie à la peau noire, sur sa version de Mars, la plus noble de la planète, au sens de l’Histoire. Ils se nomment eux-mêmes les « Premiers Nés ». Le corrolaire de cette position, c’est que si Burroughs a besoin d’un antagoniste, peu importe sa couleur de peau également. Il est dommage que le fragment d’histoire qui fut retrouvé après sa mort, mettant en scène un héros noir, n’ait jamais été achevé. Cela aurait sans doute relativisé les accusations de racisme qui lui sont souvent imputées.
Et dans Tarzan, on le voit prendre des précautions que n’aurait pas prises un raciste : quand Kulonga tue la mère adoptive de Tarzan, ce n’est pas un acte mauvais, mais une incompréhension due à une rencontre fortuite (ce n’est pas « un rite de passage » comme décrit dans le film de 2016). Il est spécifié dans le texte que si la tribu de Mbonga se retrouve en contact avec les Manganis, c’est parce qu’ils fuient le Congo qui est sous l’égide du Roi belge Leopold II (voir aussi le film de 2016, qui développe cet aspect historique). Et s’ils massacrent la patrouille de soldats blancs parmi lesquels se trouve le français D’Arnot, c’est pour se venger de l’oppression des Blancs.
Bien souvent, il suffit de relever que Tarzan est blanc dans un pays d’Afrique noire pour qualifier l’histoire de raciste. Comme dirait Cyrano, c’est un peu court jeune homme… Même si « Tarzan » signifie en langue des grands singes « peau blanche », il convient de noter que le Tarzan adulte a la peau brunie par les éléments. Il n’est pas seulement supérieur aux Africains, il est supérieur aux Blancs, et à tous les animaux, sauf l’éléphant, dont il reconnait sans peine la supériorité ! C’est un super-héros avant l’heure, et rappelons-le, un animal avant d’être un homme.
Le mythe à travers les yeux du grand public
A l’instar du Conan de Robert E. Howard, le mythe de Tarzan s’est développé un peu en dépit des textes originels. Désenchanté par Hollywood – mais appréciant les gros chèques – , Edgar Rice Burroughs, début 1930, a décidé dorénavant de dissocier les romans et les adaptations cinématographiques. Quand la MGM l’approche pour les droits de Tarzan, ceux-ci ne comportent guère plus que l’usage des noms et les caractéristiques physiques du héros. La firme doit créer sa propre histoire, indépendament des romans.
La MGM met donc en scène un Tarzan mutique, qui n’a jamais rencontré d’autre être humain, avant que ne débarque dans sa vie Jane Parker (au lieu de Porter) et son père, à la recherche du mythique cimetière des éléphants. Ce film sera un triomphe au box-office, notamment grâce au charisme hallucinant de Johnny Weissmuller, un nageur olympique multi-médaillé qui fait ses débuts à l’écran dans le rôle de sa vie. Encore aujourd’hui, les gens l’associent à Tarzan alors que plusieurs comédiens lui ont succédé depuis.
Il faut aussi souligner la prestation excellente de Maurren O’Sullivan en Jane, car le film est finalement plus son histoire que celle de Tarzan, dont on n’apprendra finalement pas grand-chose le concernant. Le couple fera cinq films ensemble, avant que la série ne soit reprise par la firme RKO pour six autres films à moindre budget, toujours avec Weissmuller, mais sans Maureen O’Sullivan.
C’est cette image, plus que toute autre, qui est restée dans l’inconscient collectif, alors que les films et séries suivants ont quelquefois mis en scène un être beaucoup plus bavard et éduqué, plus conforme à celui des romans. Mais le côté « animal » de Tarzan sera très rarement exploité, à part dans le « Greystoke » de 1984, une des meilleures adaptations du roman, du moins dans sa première partie.
L’adaptation « parfaite » reste à venir, même si certaines s’en rapprochent assez, comme le film de 2016 de David Yates.
Et vous, connaissez-vous bien le personnage de Tarzan ? Dites-le moi en commentaire ?